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Editions
 
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"PERSONNAGES"
2013
 
 
 
"FARHI"
par Silva Usta
texte en gauffrage par François Birembaux
38x28cm
5ex
 
 
"TCHEKHOV"
par Silva Usta
texte en gauffrage par François Birembaux
38x28cm
5ex
 
"LIZ TAYLOR"
par Neal Turner
texte en gauffrage par François Birembaux
38x28cm
5ex
 
 
 
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L’Ecole de Cimiez, après s’être consacrée à l’illustration de douze lieux  emblématiques de Nice, s’inspire  à présent de personnages qui ont vécu et créé dans cette ville méditerranéenne  et cosmopolite.
Le choix effectué par les artistes ne repose sur aucun critère imposé par l’Ecole de Cimiez. Chacun a délibérément et spontanément  représenté celui avec qui il avait des affinités, quelles qu’elles soient
Notre publication ne vise pas à présenter les artistes ou auteurs choisis comme étant des « personnages ». Notre démarche consiste à faire prendre conscience qu’en chaque lieu, à chaque instant, un être, aussi ordinaire qu’il soit, incarne un personnage dès lors qu’il  s’exprime, qu’il agit et qu’il s’engage.
Ne portez aucun jugement de valeur sur la sélection que nous avons faite. Il se peut que vous  contestiez notre choix mais qu’importe ! L’essentiel est de vous interroger sur qui pourrait le mieux incarner Nice. Pour notre part, il nous plaît de croire que ce ne sont pas exclusivement des Niçois qui ont fait de Nice ce qu’elle est.  En effet, des voyageurs, des étrangers, illustres ou non, des célébrités de tous horizons, des exilés ont imprimé leur marque  sur Nice et l’ont enrichie tout en lui conservant  la pureté et l’authenticité d’un lieu inclassable.
La Riviera a largement inspiré les peintres, les écrivains, les philosophes, non exclusivement pour des raisons purement culturelles mais aussi et surtout pour sa lumière,  symbole en philosophie de l’ascension vers la vérité.
Représenter ces personnages n’a pas pour but d’en faire des icônes emblématiques de Nice, il s’agit simplement de faire le portrait d’hommes qui se sont nourris de la luminosité, des ambiances, des parfums méditerranéens.
Nous espérons que cette publication vous  permettra de découvrir le personnage qui, selon vous, a sublimé le mieux la beauté azuréenne et  vous donnera le sentiment d’être en harmonie avec la Côte d’Azur en dépit de son faste, éphémère et superficiel, durant la période estivale.

 
 

 

Le mot « personnage » vient du mot étrusque passé dans la langue latine « persona » qui avait plusieurs significations : il désignait tout d’abord le masque que mettait les acteurs pour incarner un rôle, de là il a pris la signification du caractère du personnage puis,  au figuré,  du « caractère », de l’ « individualité »,de la « personnalité » et, au sens grammatical, de la « personne ».  En français,  ce mot a gardé  la plupart des significations du mot latin avec toutefois une prédilection pour  évoquer la notion de « rôle » et de la « personnalité » attachée à ce rôle ; ceci à la différence du mot « personne » dérivé aussi du même mot latin qui, outre son sens grammatical,  désigne, au sens large,  un individu de l’espèce humaine ou, au sens philosophique, un « être individuel, en tant qu’il possède la conscience, l’unité, la continuité de la vie mentale » (Dict. ROBERT).  
Réfléchir sur le sens de ce mot nous amène donc à nous interroger sur l’ensemble des rôles sociaux d’une personne ou sur celui qu’elle privilégie en s’y investissant le plus. Ces rôles ne sont pas sans importance car on est ce qu’on fait et les masques (premier sens du mot « persona ») que l’on revêt en société participent à la construction de notre essence propre.  Dans le Nouveau vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, on trouve la définition suivante du concept de personnage : « correspond à la fois à l’idée que nous voulons donner aux autres et à celle qu’ils attendent de nous. » (*01) .
Le personnage que l’on incarne dans le cadre de notre rapport à autrui façonne notre personnalité, influence nos actes et forge notre caractère. Accepter l’idée  d’être un personnage, c’est  accepter une sorte de saisie  ou de dépossession de soi-même. L’enjeu, ou la difficulté, est  alors de trouver l’harmonie, le juste équilibre entre ce que l’on est avec les autres, dans un environnement culturel donné, et ce que l’on veut réellement être, le danger étant de se laisser submerger par le rôle joué au point d’y perdre sa raison.  Les risques de notre époque sont l’anonymat, l’abdication de la dignité  dans « un monde réglé par les horloges, découpé par des travaux absorbants ou vides qui répondent de moins en moins à des aspirations vraiment humaines… L’individu finit par avoir le sentiment de n’être plus lui-même… » (*02)
Qu’est-ce donc qu’un personnage à l’ère des traders, de la starisation des personnalités et de la construction des icônes modernes ? Comment cerner toute la dimension symbolique et la valeur morale d’un personnage singulier lorsque la culture de masse implique l’indifférenciation et le relativisme ? Comment devenir un personnage dans une société où le nivellement par le bas est pratiqué et où l’intellectuel est broyé, le héros assimilé à une star éphémère ? Tocqueville (*03) avait remarquablement anticipé les déviances démocratiques du conformisme égalitaire, de la réduction à l’homogénéité et de l’individualisme sans individualité. Il est bien difficile  aujourd’hui d’émerger en tant que personnage singulier. Cependant, alors   que nous sommes tous identiques mais isolés, paradoxalement, le souci de la différence se fait entendre (*04). Dans ce contexte ambivalent, y-a-t-il une place pour les personnages ?  Comment chaque personne noyée dans notre société consumériste, mercantile et si réactionnaire - en dépit des apparences - peut s’affirmer comme un personnage doté d’un « supplément d’âme » ? Bergson écrivait : « on a reproché aux Américains d’avoir tous le même chapeau. Mais la tête doit passer avec le chapeau. Faites que je puisse modeler ma tête selon mon goût propre, et j’accepterai pour elle le chapeau de tout le monde. »  (*05)
Je repense souvent à ces personnages mythiques, ces héros qui ont nourri mon enfance : l’audace insouciante de Pâris, la beauté d’Hélène, la puissance d’Achille, la bravoure  d’Hector, la ruse d’Ulysse, la sagesse de Nestor etc. Les héros d’Homère (*06) incarnent une dimension épique associée à une tradition où la vertu se révèle dans la guerre et l’intelligence. Qui peut  prétendre aujourd’hui se revêtir des qualités singulières et hors du commun de ces personnages ?
Dans l’antiquité,  le personnage-héros  inscrit toujours la communauté dans l’Histoire ou une légende prestigieuse qui devient ainsi celle de tous. Force est de constater qu’il y a autour du personnage une part de rêve. Supprimer la stature des personnages c’est participer à la mort de l’homme. C’est le réduire aux effets de structures (de la parenté, du langage, de l’économie…) qui le déterminent ; plus rien d’extraordinaire ne peut être attribué au « Sujet », responsable de son destin. Or, il est salutaire de réhabiliter l‘espérance (celle de la foi), la passion kiergaardienne, le courage si cher au platonisme et la pensée de Marc Aurèle. Il est salutaire selon Daniel-Rops  de « sauvegarder en nous et autour de nous les valeurs véritables dont nous savons bien qu’elles sont la mesure de l’homme, l’amour des hommes, le sens de la liberté, le goût de la beauté et la joie créatrice de l’intelligence… Cet effort, en définitive, échappe aux exigences de l’évolution technique et économique, il ne relève d’aucun déterminisme de l’histoire. Les chances décisives de l’homme c’est en nous-mêmes qu’elles existent : c’est quand nous sommes vraiment hommes que nous les préservons » (*07)

Les personnages de roman subsistent car ils représentent des types d’humanité universels. Les personnages de la vie réelle ont besoin pour exister de s’imposer en dehors des modèles consacrés, il leur faut être originaux, avoir du caractère, s’opposer à l’idée ambiante: Mandela, Obama sont des « personnages » comme l’ont été en leur temps Churchill, Gandhi ou de Gaulle. Un personnage est celui qui cherche l’engagement, qui l’assume, qui prend des risques et qui repousse le carcan de la société.  Contrairement à eux, les personnages qui apparaissent à la télévision sont des icônes du conformisme, véritable incarnation de ce qui est convenu. En réaction,  il faut que nous entreprenions de simplifier notre existence avec autant de volonté voire de désir que nous en mettions à la compliquer en perdant notre identité et nous détourner de notre essence.
Réinventons l’homme pour qu’il devienne le personnage central, l’auteur de sa vie ; non comme un anti-héros mais plutôt en héros de sa propre vie. L’idée du personnage contredit la formule de Foucault selon laquelle « on peut bien parier que l’homme s’effacerait, comme à la limite de la mer un visage de sable. » (*08) Peu importe que le comportement de l’homme ait ses lois, culturelles, économiques, etc… car ces dernières suivent une logique du sens mais, du fait de sa liberté, chaque être est précisément capable de choisir ou modifier la signification qu’il entend privilégier.
Pascal Bruckner écrit que « le monde change plus vite aujourd’hui que notre intelligence du monde. » (*09) Cette affirmation me fait espérer l’émergence d’un personnage différent qui donnerait naissance à une forme de leadership intellectuel en vertu de ses rôles et d’une pensée neuve ; ceci à contre-courant du désenchantement contemporain, dénonçant l’inacceptable et célébrant le merveilleux du monde. Ce personnage serait libre, gardant son honneur contre les effets de mode sociétaux en fuyant les titres ronflants du pouvoir qui le domestiqueraient.
Et si  chacun d’entre nous pouvait devenir ce personnage? Si chaque personne qui endosse le masque de personnages divers et changeants dépassait la comédie sociale pour choisir d’incarner le rôle essentiel et grave mais rempli d’espoir de sa vie ? Joyce Caroll Oates dans son œuvre Blonde (*10) raconte, sous forme de fiction, la vie  de Marilyn Monroe. Loin d’être une biographie, la narration romanesque nous présente en Marylin une personne à part entière indépendamment des personnages qu’on lui imposait de jouer et qu’elle incarnait en les faisant siens.  Les réalisateurs qui la filmaient avaient conscience qu’elle ne jouait pas alors : elle était ce qu’elle représentait. Cette distorsion, ce  combat intérieur entre ce qu’elle était, ce qu’elle  voulait être et  l’image d’elle qu’on donnait  au public l’ont conduite à sa fin tragique, faisant d’elle une sorte de mythe dépassant largement la simple destinée d’une actrice. L’histoire tragique de cette comédienne m’amène à considérer que nous parvenons difficilement à construire notre essence face à la désorganisation du monde (*11). Face aux doutes de notre époque, notre salut appelle peut-être des réponses spirituelles. Là encore, je repense au personnage typiquement oatesien de Marilyn et à la citation de Péguy « le spirituel est lui-même charnel » : pour que chaque personne jouant ses personnages puisse vivre sa vie choisie, il est de saine philosophie de penser à faire vivre le corps avant de prétendre sauver son esprit tout en conservant à l’esprit les actes de foi, les richesses humaines profondes et les chances d’un ordre fondé sur l’amour.
 Aussi ne puis-je que reprendre la citation de Sartre selon laquelle « le génie n’est pas un don, mais la façon dont on invente dans des circonstances désespérées ». Cela  suscite une question : faut-il des circonstances désespérées ou du moins exceptionnelles pour qu’existe un personnage ?  Personnellement il me semble qu’en étant soi-même, tout simplement, sans concession pour la mode, le qu’en dira-t-on, les diktats de l’éducation ou  les impératifs de toutes sortes de la société,  on peut devenir un personnage authentique. L’initiative ne peut venir que de chacun de nous, de chaque « conscience humaine », porteuse de « valeurs véritables ». Faire que chacun d’entre nous en tant que « Personne » devienne le « Personnage » - sans concession - de sa vie. Il s’agit de faire face aux périls évidents de notre siècle avec l’envie frénétique de préserver notre chance d’être unique et le désir d’affirmer notre identité avec le sens inébranlable du partage ; ni seul ni isolé.  Ceci a du sens et exige le goût de l’effort (*12).


(*01) L-M Morfaux, Jean Lefranc, Nouveau vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, ed Armand Colin, Paris, 2005

(*02) Karl  Jasper, Introduction à la philosophie, traduit de l’allemand par Jeanne Hersch, ed Plon

(*03) Tocqueville, La démocratie en Amérique

(*04) Raymond Aron, Les Grandes étapes de la pensée sociologique, Gallimard

(*05) H. Bergson, Les deux sources de la Morale et de la Religion, ed Puf

(*06) L’Illiade et l’Odyssée sont des  poèmes de 16000 et 12000 vers ; Pierre Vidal Nacquet, Le Monde d’Homère, coll Tempus, ed Perrin, 2002

(*07) Daniel-Rops, Les caractéristiques d’une civilisation industrielle. Conférence prononcée en 1954 au Centre Economique et Social de perfectionnement des cadres.

(*08) M. Foucault, Les Mots et les choses

(*09) P. Bruckner, Le liberté de l’esprit in De quoi l’avenir intellectuel sera-t-il fait ? Enquête 1980, 2010, Le Débat, ed Gallimard, 2010

(*10)J.C Oates, Blonde, la cosmopolite, ed Stock, 2000

(*11) Karl Marx écrivait : « ce ne sont pas les idées et les sentiments qui transforment le monde, mais c’est le monde qui, en se transformant, bouleverse les idées et les sentiments. »

(*12) Comment ne pas associer cette recommandation à l’assertion du philosophe Alain, Propos sur l’Education : « si l’on apprenait à penser comme on apprend à souder, nous connaîtrions le peuple roi. »

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